Retrouvez quelques extraits audio dans la vidéo Youtube ci-dessous et lisez l'intégralité de son témoignage dans cet article.
Quel est votre parcours et comment êtes vous impliqué dans les soins palliatifs et d’accompagnement ?
Je suis médecin généraliste dans une petite ville de campagne à Preignac mais également enseignant à l’université de Bordeaux et je fais une thèse en sociologie. Les soins palliatifs, je les ai découverts tard, sur ma septième année de médecine, en internat de médecine générale. J’étais dans un service de médecine polyvalente et j’ai vu une équipe mobile intervenir. C’était la première fois que j’avais à faire aux soins palliatifs, d’un point de vue professionnelle et personnelle d’ailleurs, et la façon qu’ils ont eu de s’occuper du patient, que ce soit dans la communication ou dans les centres d’intérêt précis, pour moi, c’est vraiment cette rencontre qui a forgé ma vision des soins palliatifs que j’ai d’ailleurs encore aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous impliquer dans les soins palliatifs ?
Souvent, on dit en médecine générale que l’intérêt c’est la relation avec le patient. Et oui c’est très important, mais en médecine palliative, ça l’est encore plus !
Dans les soins traditionnels, je dirais qu’on se centre beaucoup sur la maladie. D’ailleurs, si on regarde les recommandations, on dit comment traiter l’hypertension et pas le patient hypertendu. Et même quand on veut prendre en compte les avis du patient, quand il y a une pathologie, souvent, on a tendance à se concentrer dessus.
Dans les soins palliatifs, ça n’est pas le cas, la pathologie passe presque au second plan, puisque de toute façon, même s’il y a quelques traitements spécifiques, le nœud principal, ça reste le subjectif du patient, son vécu, les symptômes…et on s’éloigne d’une prise en charge entièrement centrée sur une pathologie, sur une guérison, sur un maintien sous cloche d’une pathologie, pour quelque chose où c’est le vécu du patient, le subjectif, l’humain qui reprend le centre. On n’est plus du tout sur quelque chose de purement biomédical mais sur quelque chose où on explore toute la diversité des sensibilités, des visions du monde. C’est ça vraiment qui m’a le plus attiré dans les soins palliatifs et qui m’attire toujours d’ailleurs.
Quelles sont les idées reçues autour des soins palliatifs ?
La première idée reçue, c’est que les soins palliatifs, ça reste un domaine de souffrance. Que, quand on va faire ce métier ou qu’on va se rapprocher des gens qui sont en palliatif, il y a une souffrance physique et psychique qui est intolérable. En fait, paradoxalement, c’est strictement l’inverse. J’ai vu plus de patients souffrir du fait qu’on s’occupait uniquement de la pathologie et pas de leur vécu, alors même qu’on pouvait les guérir ! En soins palliatifs, comme le vécu devient la cible numéro un de l’action, les gens sont souvent plus soulagés.
La deuxième idée reçue, mais ça je pense que tout le monde le dira, c’est que les gens pensent que soins palliatifs = mort imminente, dans deux / trois jours, la personne est partie. Alors que non ! Il y a des gens qui peuvent passer plusieurs années dans une situation palliative. Ça, c’est une idée reçue de la population générale, mais également des professionnels, ce qui fait d’ailleurs qu’on a des grosses difficultés à développer cette vision, car comme les gens pensent que c’est la fin de vie, ils ne s’y intéressent pas et surtout, ils n’orientent pas quand ce serait nécessaire.
Donc voilà, je pense que les deux plus gros préjugés sont : c’est un lieu de souffrance et c’est un lieu où on va souffrir juste avant de mourir alors qu’en fait, il y a encore plein de choses à faire.
Dans votre fonction de médecin généraliste, êtes-vous souvent confronté à la question des soins palliatifs et, quand c'est le cas, comment l'abordez-vous ?
J’ai une patientèle très âgée, quasiment le tiers de mes patients a plus de 75 ans. Du coup, malheureusement, ils atteignent tous des âges où, à terme, ils finissent par se retrouver dans une situation palliative.
Et à ce moment-là, en tant que médecin généraliste, c’est une situation privilégiée pour moi, car, comme j’arrive justement plus tôt, ça me permet de guider plus facilement le patient. Je n’attends pas qu’on soit sur l’ultime ligne de chimiothérapie où le patient est extrêmement faible et souffrant, avant de faire intervenir les équipes adaptées, avant de mettre en place les traitements adaptés. Donc pour moi, c’est dans le suivi naturel de mes patients. Je vais prêcher pour ma paroisse, mais je pense que c’est la plus belle façon de faire le palliatif puisque je connais mes patients depuis plusieurs années. Je connais leur volonté, la façon qu’ils ont envie d’avancer, la plupart du temps, j’ai déjà parlé de directives anticipées et donc du coup, ça devient ce qui, à mon sens, devrait toujours être le soin palliatif, c’est à dire, une continuité dans les soins. Ca n’est pas quelque chose qui nous tombe dessus comme ça “Ca y est, à cette heure-ci je déclare que vous passez en soins palliatifs”. Non, on est plutôt sur un cheminement où, petit à petit, on va peut être moins mettre la pression sur le traitement de la pathologie et plus sur la gestion des symptômes. Et puis, au fur et à mesure, réduire progressivement la pression thérapeutique jusqu’à dire: “Bon, écoutez, on en est au point où, entre rien faire et faire ce qu’on fait, il n’y a pas de différence donc arrêtons et concentrons nous sur l’essentiel.”
Quelle formation faudrait-il en soins palliatifs ?
Je dirais qu’il n’y a pas nécessairement de besoin de formation spécifique sur les soins palliatifs, en tout cas sur l’aspect technique.
Je pense qu’une formation à l’écoute et à la bienveillance, notamment à centrer la prise en charge sur les symptômes et le vécu, serait plus adaptée. Peut-être également un aspect discussion autour de la fin de vie, des représentations de chacun, ce que chacun perçoit dans la mort et dans l’échec des thérapeutiques conventionnelles. Il me paraît complexe d’être serein face à la mort d’autrui si on a pas réussi à faire le point sur ces différents éléments.
Si les soignants prennent en compte le vécu des patients et leurs symptômes, à ce moment-là ils feront tout naturellement des soins palliatifs de qualité.
Une anecdote, un souvenir ?
Quand j’étais en stage en unité de soins palliatifs, j’ai eu plusieurs patients qui m’avaient demandé à leur entrée dans l’USP de mettre fin à leurs jours. Et en fait, systématiquement, les patients sont revenus sur leur avis une fois qu’on les a soulagés. A l’exception d’une personne. Et c’était assez original, parce que c’était une petite mamie qui, pour le coup, n’avait aucune pathologie. Elle était en souffrance psychique, en situation d’isolement social. Elle n’était pas dépressive au sens classique du terme, elle n’avait pas de traitement en ce sens, elle n’était pas cancéreuse, c’est juste qu’elle n’avait plus envie de vivre parce qu’elle était isolée, elle n’avait plus de famille, plus d’amis, tout le monde était décédé autour d’elle, elle voulait juste partir.
Et c’est assez intéressant de constater, même s’il ne faut pas en faire une généralité, qu’au final, la plus grande souffrance n’est pas forcément une dépression sévère ou une douleur insupportable. La plus grande souffrance de cette patiente, c’était simplement le social, l’humain. S’il y avait juste eu un accompagnement, des amis, quelque chose, du lien social, en fait ce qui crée l’intérêt de vivre finalement, alors peut-être qu’on n’aurait pas ce genre de demande.
Est ce qu’en fait les soins palliatifs, c’est pas aussi tout simplement une question de société, plus qu’une question médicale?
Un message à faire passer ?
Peut-être un message aux soignants : il ne faut pas avoir peur. En soins palliatifs et en fin de vie, on a peur parce qu’on pense souffrance, on pense tristesse. Alors qu’en fait, il y a des des situations palliatives qui sont d’une gaieté et d’une joie vraiment belles. Quand on a souffert pendant longtemps et qu’on commence à avoir du réconfort, il n’y a rien de plus agréable que ça, même si ce réconfort est transitoire avant une fin de vie. Mais de toute façon, on part tous à un moment ou à un autre donc quitte à partir, autant que ce soit dans de bonnes conditions et bien accompagné.