Quel est votre parcours ?
Je suis bénévole dans l’association Les Petits Frères des Pauvres depuis 20 ans. Cette association lutte contre l’isolement et la solitude des personnes âgées, prioritairement les plus démunies.
Depuis le début de mon bénévolat, je fais toutes les semaines des visites à des personnes âgées. Et depuis 10 ans, je ne fais que des visites à l’hôpital Emile Roux de l’AP-HP dans le Val de Marne. 95 % de son activité est de la gériatrie ; je fais des visites à des patients qui sont en unité de soins de longue durée, c’est à dire des patients qui ont des pathologies multiples et qui ont besoin d’une assistance médicale 7 jours sur 7. Il y a des lits identifiés soins palliatifs et une unité mobile de soins palliatifs.
Alors, quand on parle soins palliatifs, on pense à l’aspect médicalisé bien sûr, mais il y a tout le reste et c’est là que peuvent intervenir les bénévoles qui vont donner du temps et de l’écoute, qui peuvent initier des activités…Par exemple, je peux faire de la danse avec les patients que je visite. On danse beaucoup le tango en fauteuil roulant ! Ca paraît bizarre, des personnes qui sont à la fin de leur vie, qui vont mourir dans peu de temps et avec qui on danse, c’est juste magique !
Pourquoi le bénévolat ?
Souvent, on commence le bénévolat parce qu’on est soi-même en recherche. On veut donner, mais au départ, c’est aussi un besoin personnel. Pour moi, c’était lié à ma mère et ma grand-mère : elles avaient besoin de soutien, mais j’habitais à 650 km, je ne pouvais pas être là pour elles au quotidien. J’ai culpabilisé, et je me suis dit : « Puisque je ne peux pas être présente pour elles, est-ce que je ne peux pas accompagner d’autres personnes âgées ? ». C’est ainsi que j’ai rejoint les Petits Frères des Pauvres.
Si j’y suis encore aujourd’hui, c’est parce que cela fait partie de moi. C’est dans mon ADN. Il n’y a pas de séparation entre mon bénévolat et ma vie personnelle. Et puis, c’est une grande association, j’ai pu évoluer dans mes missions, tout en gardant toujours ce cœur d’engagement : les visites, à domicile, en EHPAD et désormais à l’hôpital.
Quel est le quotidien d'un bénévole ?
Je vais un après-midi par semaine à l’hôpital. Il n’y a pas de visite “type”. Une personne que l’on a vue la semaine dernière et que l’on revoit cette semaine peut-être tout à fait différente.
Mais ce qui ne change pas, c’est la posture du bénévole lors d’une visite. Il faut être “juste là”. C’est facile à dire car on arrive tous avec nos émotions, nos vécus et il ne faut pas les laisser à la porte de la chambre du patient. Mais il faut avoir suffisamment de place dans notre sac à dos émotionnel pour accueillir tout ce qui va se passer pendant la visite…et on ne sait pas ce qui va se passer !
Ce qui ne change pas aussi dans une visite, c’est la nécessité de s’adapter aux patients : de quoi a-t-il besoin ? Qu’est-ce qui va lui faire plaisir ? qu’est-ce que je peux faire pour lui ? l’écoute. Écouter, savoir ne rien dire, c’est très important et même après 20 ans de bénévolat ,parfois, ce
n’est pas facile. A la fin d’une visite, quand je sens que j’ai pu apporter un peu de réconfort, je me sens bien, tellement bien.
Quelles sont les idées reçues autour des soins palliatifs et comment les contrer ?
Il y en a tellement !
Quand on parle de soins palliatifs, de fin de vie, les gens pensent très souvent qu’il n’y en a plus que pour quelques semaines ou quelques jours. Oui et non.
Pour contrer ça, il faut informer. Et l’information passe par des organismes, les professionnels de santé… mais aussi par Monsieur et Madame tout le monde. Pour cela, au lieu de parler de soins palliatifs, il faudrait parler de culture palliative. La culture palliative concerne chacun d’entre nous contrairement aux soins palliatifs.
La semaine dernière, après mes visites, j’étais à la cafétéria de l’hôpital. À côté de moi, une femme semblait très mal. Elle laissait un message au téléphone : sa mère était en train de mourir. Quand elle a raccroché, nous avons discuté. Pendant plus d’une heure. À la fin, elle m’a remerciée : elle avait mieux compris ce que sont les soins palliatifs et la fin de vie, elle se sentait un peu plus rassurée et prête à aller parler avec le médecin.
Donc l’information, c’est la clé et tout le monde peut informer.
Une anecdote, un souvenir à partager ?
J’en ai deux.
La première, c’est pour rappeler que les soins palliatifs, ce n’est pas forcément triste. On peut même beaucoup rigoler !
Un jour, j’arrive devant une chambre dont la porte est ouverte. J’entends quelqu’un parler. Je toque, j’entre. Le monsieur qui est là semble plongé dans son univers. Il ne me voit pas tout de suite et je l’entends compter à voix haute : « 12, 14, 16… ». Je me présente, il me jette un regard rapide, puis reprend sa série. Alors, je me lance : « 18 ». Il enchaîne : « 20 ». Je réponds : « 22 ». Et ainsi de suite.
À un moment, il passe à une autre suite : « 1000, 1001, 1002… ». Alors je poursuis : « 1003, 1004… ». Nous avançons chacun notre tour, en rythme. Il me regarde en comptant, ses yeux brillent, et soudain, il éclate de rire. Moi aussi ! Puis il propose une nouvelle série, et le jeu continue, nos rires s’entremêlant de plus en plus fort.
Une aide-soignante, intriguée depuis le couloir, entre dans la chambre. Je lui lance en riant : « Vous voulez jouer avec nous ? ». Et elle se joint à nous. Puis une autre, puis encore une autre… Finalement, nous étions six autour du lit, à partager ce moment joyeux.
Voilà ce que sont aussi les soins palliatifs, la fin de vie : des instants de complicité, de rire, de vie tout simplement.
La deuxième histoire est d’une toute autre nature. Un jour, je me rends dans la chambre d’une dame dont je connais un peu la fille. Je sais que leur relation est compliquée, Or la fille vient de quitter la chambre de sa maman quand j’arrive et je sens en entrant que le climat est lourd. La patiente est extrêmement contractée, les yeux fermés ; je ressens une grande souffrance physique et psychique.
Comme toujours, je me présente et je lui demande si je peux rester auprès d’elle. Elle hoche doucement la tête, sans prononcer un mot. Je m’assieds à ses côtés, je laisse simplement le silence s’installer. Elle me saisit la main. Je sais alors que ma place est vraiment à ses côtés. Pendant trois quarts d’heure, je reste là, à parler doucement, de peu de choses, souvent je ne parle pas et la dame ne me parle jamais. Mais je vois son corps se détendre peu à peu, son visage retrouve de la sérénité, ma présence semble l’apaiser.
Lorsque je prends congé, je la remercie de m’avoir accueillie et lui dis que je reviens le lendemain. Alors elle ouvre les yeux et dit : « Merci de m’avoir écoutée ». Pourtant, elle n’a pas parlé durant toute ma visite ! Mais je comprends que ma venue lui a apporté du réconfort. Ce sont des moments d’une intensité rare, qui marquent profondément.
Ce que j’aimerais transmettre à travers ces expériences, c’est un message simple : il faut oser. Oser franchir la porte d’une chambre d’hôpital, oser aller à la rencontre des patients en soins palliatifs, en fin de vie. Oui, ce n’est pas toujours facile, et il m’est arrivé de rester dans ma voiture à pleurer avant de pouvoir repartir. Mais il y a tant à découvrir dans ces instants, tant de richesse humaine, tant d’émotions partagées. Derrière la douleur, il y a aussi la vie, des éclats de rire et des instants de grâce.
Les soins palliatifs, ce n’est pas seulement la fin de vie. C’est aussi un espace où l’on apprend à être présent, à accueillir l’autre tel qu’il est, et à se laisser transformer par ces rencontres.