“Les soins palliatifs, c’est très créatif”

Témoignage de Simon Martine, infirmier et chef de projet à la Maison médicale Jeanne Garnier

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

J’ai 37 ans et je suis infirmier depuis une quinzaine d’années. J’ai commencé en oncologie hospitalière, où les soins palliatifs sont forcément présents. Il y a près de dix ans, j’ai intégré la Maison médicale Jeanne Garnier. J’y ai travaillé en unité hospitalière, puis en équipe mobile, et aujourd’hui je fais partie du pôle formation. Je participe notamment au projet IDEPAD, qui vise à intégrer la démarche palliative en EHPAD.

Je suis chef de projet, mais j’ai gardé aussi un temps de pratique clinique : une journée par semaine, je continue les soins en unité de soins palliatifs.

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager dans les soins palliatifs ?

Dès mes débuts en oncologie, j’ai été confronté aux situations palliatives, et c’est là que je me sentais le plus à ma place. J’avais envie d’aller plus loin dans l’accompagnement, d’être vraiment dans la finesse et dans le temps, sans la pression constante du timing hospitalier.

En soins palliatifs, les choses sont dites. On sait pourquoi on est là, et cela change tout. C’est un cadre sérieux mais aussi très créatif : on peut sortir du chemin tracé pour aller rejoindre le patient là où il est.

Pour moi, les soins palliatifs sont encore un lieu préservé. Nous avons ce temps pour réfléchir à la situation du patient, de sa famille et de l’équipe. C’est une chance, et il faut se battre pour garder cette qualité de travail.

Quelles idées reçues rencontrez-vous le plus souvent ?

Il y a de fortes représentations que ce soit de la société civile mais aussi des soignants autour du fait que soins palliatifs = fin de vie. Alors que, quand on s’inscrit dans une démarche palliative anticipée, on peut être amené à parler de soins palliatifs très en amont, avant la fin de vie qui va plutôt être dans les derniers jours, dernières heures de vie. Cette représentation biaise un peu la prise en charge car comme on va en parler très tard, on va potentiellement passer à côté de plein de choses notamment le recueil des préférences. On est amené à se poser la question de ce que la personne aurait voulu pour ces derniers jours beaucoup trop tard et la personne n’est plus capable de pouvoir nous répondre.

Il y a aussi des fortes représentations sur les dispositifs d’accompagnement de soins palliatifs et des soignants qui vont faire l’amalgame en voyant l’équipe mobile de soins palliatifs arrivée et le fait que le résident va mourir. Ils ont tendance à faire un raccourci entre équipe spécialisée et mort. Il y a un gros travail à faire là-dessus et ça fait partie de mes missions de travailler sur ces représentations et sur cette vision partagée des soins palliatifs pour pouvoir, quand on parle de soins palliatifs, de démarches palliatives, avoir un langage commun pour une meilleure prise en charge. 

Il y a des représentations aussi sur la morphine par exemple qui vont être beaucoup plus spécifiques et qui ne sont pas liés qu’aux soignants mais aussi aux familles et aux médecins aussi. Alors c’est vrai que quand on est en unité de soins palliatif, on est habitué à faire parfois des doses incroyables qu’on ne verrait jamais ailleurs mais quand même malgré tout, je vois bien que, par exemple dans les EHPAD, il y a encore beaucoup de réticences à l’utiliser à causes de ces représentations mais aussi du manque de formation. Des fois, ça va être le médecin qui va hésiter à prescrire parce qu’il a peur que les surveillances ne se fassent pas derrière ou que ça ne suive pas au niveau des évaluations. D’autres pensent que ça va accélérer le processus de fin de vie. Et c’est pareil pour l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation qui est un sujet qui revient énormément. 

Un autre préjugé qu’ont les professionnels sur les soins palliatifs, et qui m’a beaucoup marqué, c’est le fait de penser qu’en soins palliatifs on ne fait pas grand chose en termes de soins techniques. C’est une représentation assez forte dans le milieu professionnel, à tel point que quelques fois, des patients arrivent sans cathéter en unité de soins palliatifs parce que les hôpitaux qui nous les envoient pensent qu’il n’y en a plus besoin. Eh bien si, on va en avoir énormément besoin, notamment pour soulager les symptômes réfractaires ! Donc il y a un gros travail de déconstruction à faire sur les représentations fortes des thérapeutiques qui sont très vite associées à la fin de vie. 

À quoi ressemble votre quotidien ?

En EHPAD en général, j’accompagne les professionnels au lit du résident le matin sur, par exemple, une toilette complexe ou un pansement sur une situation difficile. En fin de matinée, ça peut être aussi le débrief avec le médecin ou faire le point avec l’infirmier du jour sur les situations qu’on a pu voir le matin et reprendre un peu ce qu’on a pu observer, ce qu’on a pu évaluer, ce qu’on a pu mettre en place. Et généralement l’après-midi, ça va être soit de l’animation de groupe de travail sur, par exemple, le recueil des préférences ou encore la mise en place d’un chariot dédié pour les soins palliatifs et les toilettes complexes, soit des formations flash qui vont durer 45 minutes sur des sujets prédéfinis à l’avance avec l’établissement comme l’évaluation de la douleur, le confort buccal, l’arrêt de l’alimentation et d’hydratation, le confort d’installation, le confort respiratoire… et en fait au-delà de la théorie, c’est vraiment derrière la mise en situation, la mise en application et l’évaluation qui vont être intéressantes. Donc voilà, en général ce sont mes journées types quand je suis en EHPAD.

Sinon en USP (unité de soins palliatifs), on a un grand temps d’échanges le matin, on va pouvoir reprendre ce qui s’est passé les derniers jours pour les patients, présenter les futurs entrants et ensuite en binôme infirmier/aide-soignant, on va partir dans les soins, réaliser les toilettes et accueillir les entrants… L’après-midi, on a de nouveau un temps de transmission pour faire le point sur ce qui s’est passé dans la matinée et ensuite on repart dans les soins en binôme. On a également les entretiens avec les familles qui viennent souvent l’après-midi. 

Une anecdote, un souvenir à partager ?

En 15 ans, j’en ai tellement mais la première chose qui me vient en tête c’est le souvenir de ce mari qui vidait la chambre de sa femme décédée et qui m’a donné son orchidée. C’était une magnifique orchidée dans un pot blanc…et moi j’ai pas du tout la main verte ! Pourtant cette orchidée, elle m’a suivi partout pendant des années. J’ai beaucoup déménagé pendant une période et à chaque fois elle fleurissait tous les ans. Elle était magnifique à tel point que j’ai même la maman d’une amie qui l’a peinte. C’est marrant de voir les choses qu’on peut laisser derrière nous, des fois complètement inattendues, et les liens qui se créent autour d’elles. Finalement les soins palliatifs c’est ça aussi, des liens qui se créent et c’est le fil de vie qui parfois prend des directions assez inattendues.

Le mot de la fin

Je vais prêcher un peu pour ma paroisse en tant qu’infirmier mais ce que je trouve hyper stimulant notamment dans les soins palliatifs mais de manière générale sur nos professions, c’est qu’on est vraiment stimulé et poussé à aller plus loin. Si on m’avait dit que j’aurai mon poste de chef de projet il y a 10 ans, je ne l’aurais pas cru. Les soins palliatifs, c’est beaucoup de créativité et on est amené justement à se dépasser tout le temps et à aller chercher de nouvelles compétences et à les faire reconnaître. Je suis reconnaissant de faire partie de cette génération d’infirmiers qui a le champ libre sur plein de choses hyper intéressantes.