Entretien avec Marie-Odile Vincent autour d’une initiative au sein de l’EHPAD Jacques Bonvoisin à Dieppe

8 avril 2022

Fin de vie en EHPAD, parlons-en ! Ce livre de Marie-Odile Vincent, directrice de la maison de retraite médicalisée Jacques Bonvoisin à Dieppe, retrace la démarche mise en place auprès du personnel et des résidents pour parler librement de la fin de vie en EHPAD et plus particulièrement, de la manière dont les résidents mouraient dans l’EHPAD. Lauréate du prix Millésim’AGE 2020 de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées et du prix Inn’Osez 2020 de la Fondation Partage & Vie, Marie-Odile Vincent nous a rencontrés lors de notre Café Bibli trimestriel. Pour vous donner un aperçu du contenu du livre, elle s’est prêtée au jeu de l’interview…

Bonjour, Marie-Odile, et merci de nous accorder cet entretien.

« Je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de disparaître. » Cette phrase de Monsieur M. a été, avec l’histoire introductive du livre, un élément déclencheur pour vous dans cette volonté de proposer une démarche « fin de vie » ?

Cette phrase est moins un déclencheur qu’une raison de s’interroger sur les peurs et les besoins de la personne âgée en EHPAD. Cette phrase a vraiment fait sens quand nous avons travaillé sur les rituels et que nous avons choisi, collectivement, ceux que nous voulions instaurer au sein de l’établissement. Le rituel est l’arme la plus puissante contre la solitude et l’oubli. Si je ne t’oublie pas, alors tu ne disparais pas.

Au début du livre, vous dites : « Les résidents font partie de la microsociété que forment les acteurs de l’EHPAD ». Plus loin dans l’ouvrage, vous parlez « de passer d’un vécu individuel de la mort à un vécu collectif et partagé afin de “faire société”… ». Vous pouvez nous expliquer comment vous en êtes venue à penser l’EHPAD de cette manière-là ?

Je crois que cette façon de voir remonte à une discussion avec Guy Taieb, mon professeur de physiologie quand j’étudiais la psychologie. Le professeur avait fait une métaphore entre les cellules de notre organisme et les habitants d’une société. Un endroit où nous avons chacun un rôle, chacun une façon de voir, mais un objectif commun et, dans le meilleur des cas, des valeurs communes. Voilà pourquoi un regroupement d’humains qui passent du temps ensemble dans un même lieu peuvent être considérés comme une microsociété. L’intervention d’Éric-Minnaërt est venue renforcer cet angle de vue.

Vous donnez la composition de votre comité de pilotage. Comment avez-vous rencontré et choisi Aline Frenois ?

J’avais rencontré Aline Frenois lorsqu’elle était directrice générale de l’Association rouennaise de réadaptation de l’enfance déficiente, et sa personnalité, très respectueuse des autres m’avait beaucoup plu. Quand j’ai su qu’elle était devenue consultante, je lui ai demandé si elle nous accompagnerait sur ce projet-là. Elle a manifesté tout de suite de l’enthousiasme, mais m’a prévenue qu’elle n’avait jamais travaillé sur le sujet de la mort. Une personne enthousiaste, à l’écoute, connaissant parfaitement les contraintes d’un établissement et l’esprit vierge d’une expérience similaire, voilà ce qu’il nous fallait ! Et notre collaboration a été un vrai cadeau.

Vous vous appuyez sur Éric Minnaërt, anthropologue, pour les groupes de paroles. Comment est-il venu sur le projet ?

Je souhaitais démarrer la démarche avec quelqu’un qui allait permettre de libérer la parole. J’avais rencontré Éric Minnaërt par le réseau. Quelqu’un qui connaît quelqu’un avec qui il a déjà travaillé et avec qui cela s’est particulièrement bien passé… Éric Minnaërt avait cette spécificité d’avoir vécu il y avait quelques années de cela une immersion de 6 mois en EHPAD, jour et nuit. Sa capacité à entrer en relation avec les autres est impressionnante, et les acteurs de l’EHPAD lui ont reconnu un langage, des connaissances communes qui ont facilité les échanges de façon très spontanée.

Vous évoquez les restrictions de visites pendant l’épidémie de Covid-19. Comment avez-vous géré cette période ? Avez-vous revu votre feuille de route ? En avez-vous créé une pour les cas exceptionnels comme les épidémies ?

Même en période de confinement, nous avons maintenu l’accueil aux familles qui voulaient accompagner leurs proches en fin de vie. Cependant, certaines familles ont eu peur de la maladie pour eux-mêmes et ont préféré ne pas venir. Nous avons vécu une jolie histoire aussi d’un fils de résident qui est venu quotidiennement nourrir son papa, pas atteint de la Covid-19, mais que nous considérions en fin de vie. Ces visites quotidiennes ont fait tellement de bien à son père qu’il a repris des forces et a remonté la pente… à tel point que nous avons dû demander au fils de ne plus venir, puisque son papa n’était plus en fin de vie.

De la même manière, comment avez-vous géré les rituels lors de l’épidémie ? Cela a-t-il eu un impact sur votre choix de rituels à l’EHPAD ?

Les rituels étaient devenus inopérants puisqu’ils dépendaient des déplacements des résidents et des familles au sein de l’établissement (espaces d’affichage, bougie…) et de la possibilité de nous regrouper (pour des « pots », pour un hommage…).

Ajoutez à cela les obsèques qui ont été interdites à beaucoup, pour ne pas dépasser les 20 participants réglementaires… Les rituels ont été mis à mal.

Vous écrivez : « Les EHPAD pourraient demain devenir acteurs du développement d’une nouvelle culture de fin de vie ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les personnels de l’EHPAD ont cet avantage sur ceux du sanitaire d’avoir pu créer des liens, parce qu’ils en ont eu le temps, avec les résidents avant que l’état de santé de ceux-ci ne se dégrade et entraîne la mort. Ceci est vrai aussi avec les familles. Ils les connaissent. Certains proches demandent à être nommés par leur prénom.

Mais ce n’est pas tout. Les soignants (au sens large du thème, c’est-à-dire tout professionnel prenant soin) ont appris à prendre le temps qu’il faut pour accompagner (quand bien même, ce temps n’est pas valorisé financièrement par les autorités de tarification). L’animatrice, par exemple, a toute sa place à un chevet. Parce que l’EHPAD reste avant tout un lieu de vie, les résidents peuvent agir jusqu’au bout, et vivre ce qu’ils souhaitent vivre, entourés.

Enfin l’EHPAD est ouvert 24 h/24. Les visites sont possibles en permanence, ce qui permet aux familles d’adapter leurs temps de présence comme ils le souhaitent. La nuit aussi il leur est proposé une boisson, un petit quelque chose à grignoter, un sourire, un temps de parole.

Le plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie 2021-2024 préconise, dans son troisième axe, une action (n°14) pour donner de nouvelles marges de manœuvre aux acteurs, à domicile et en EHPAD, et clarifier leur articulation. Qu’est-ce que cela vous inspire pour la suite ?

Dans l’absolu, tout ce qui incite à l’initiative et à une coordination efficace des acteurs locaux entre eux est une bonne nouvelle. Après, il faut voir comment se décline ce plan national et les moyens qui lui seront alloués…

Dans les perspectives, vous titrez : « Écouter, douter et questionner toujours ». Est-ce que cela passe par un renouvellement régulier de la démarche « fin de vie » ?

« Écouter, douter et questionner toujours » est pour moi la meilleure façon d’aborder chaque nouvelle fin de vie pour ne pas adopter d’automatismes qui nous feraient passer à côté des spécificités de chacun. Si nous arrivons à nous rendre pleinement disponibles aux résidents et aux familles, alors nous pourrons écouter. C’est pourquoi nous formons en permanence les soignants à cette écoute et c’est pourquoi nous considérons que la réponse aux besoins des soignants est une des clefs de voute de la qualité de notre accompagnement.

C’est aussi en écoutant les salariés et les familles que nous faisons évoluer les rituels.

Depuis la parution de votre livre, les EHPAD à proximité du vôtre vous ont-ils contactée pour jouir de votre expérience ? Quels retours avez-vous eus de vos pairs ? Des familles ? Des résidents ?

La Fondation Partage & Vie a valorisé cette expérience. Par exemple, des groupes-métiers d’infirmières coordinatrices ont sollicité mon intervention et nous avons réfléchi ensemble, avec une vingtaine de professionnelles, à la façon dont l’accompagnement fin de vie avait lieu dans leurs établissements.

Ma responsable m’a aussi demandé d’intervenir au sein de mon groupe de directeurs (territoire nord-ouest) pour présenter de manière interactive la démarche de Jacques Bonvoisin. Une collègue après l’échange est venue me remercier, en m’affirmant que ces réflexions redonnaient du sens à nos métiers.

Je rencontre un autre groupe de directeurs la semaine prochaine, pour nous enrichir les uns des autres.

Le retour des familles est extrêmement positif. « MERCI », « BRAVO » sont des mots qu’elles prononcent avec une grande profondeur. Je ne prends que pleinement conscience aujourd’hui de l’impact que notre accompagnement a sur eux et le levier que représentent nos bonnes pratiques pour faciliter leur travail de deuil.

Quant au retour des résidents, le « Ici au moins on ne meurt pas comme des chiens ! » de Monsieur D., et aussi des réflexions quotidiennes et une liberté de parole des résidents sur ce sujet aujourd’hui objectivent pour moi les bénéfices de la démarche.

Pour mieux conaître l’auteure

Pour en savoir plus sur le Café Bibli en présence de Marie-Odile Vincent