Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je suis psychologue clinicienne, diplômée depuis 1993. Dès mes débuts, je souhaitais travailler en service de médecine plutôt qu’en psychiatrie, ce qui n’était pas courant à l’époque. J’ai commencé par un DU de médecine psychosomatique et j’ai eu la chance de rencontrer Martine Ruszniewski, psychologue reconnue dans le champ des soins palliatifs, qui a confirmé mon intérêt pour ce domaine.
J’ai ensuite travaillé deux ans en gastro-entérologie à l’AP-HP, auprès de patients atteints de cancer du pancréas et de maladies chroniques nécessitant une nutrition parentérale. En 1997, j’ai intégré une structure pionnière, François Xavier Bagnoud, dédiée aux soins palliatifs à domicile, à l’accompagnement du deuil et à la formation sur les thèmes de la fin de vie et du deuil. J’ai également exercé à la Maison médicale Jeanne Garnier, puis en équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Saint-Michel. Depuis 2003, avec la fusion des 2 HAD, je travaille à la Fondation de la Croix Saint-Simon, où j’ai développé le service psychosocial, devenu aujourd’hui une véritable direction des soins de support rassemblant plus de 25 professionnels.
Qu’est-ce qui vous a amenée vers les soins palliatifs ?
Pendant mes études, les cursus de psychologie étaient très centrés sur la psychiatrie. Lors de mon stage de maîtrise, j’ai accompagné une psychiatre aux urgences, auprès de patients après des tentatives de suicide. J’ai rencontré aussi des personnes atteintes physiquement dans leur corps. C’est là que j’ai réalisé combien il était essentiel de comprendre aussi ce qui se joue psychiquement lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie somatique.
Les soins palliatifs se sont imposés à moi car c’est le champ où les psychologues sont le plus sollicités, mais aussi celui où la prise en charge peut intervenir très en amont, dans une démarche palliative précoce. Au fil des années, ce qui m’anime reste identique : améliorer la qualité de vie des patients et des aidants. Pour moi, cette prise en charge globale ne doit pas être réservée aux seuls patients en soins palliatifs. Elle devrait bénéficier à tous, à différents moments de leur parcours de soins.
Rencontrez-vous encore des idées reçues sur les soins palliatifs ?
Elles sont moins fortes qu’il y a 30 ans, mais certaines persistent. La plus répandue reste l’association « soins palliatifs = phase terminale ».
Une autre idée reçue consiste à penser que ce n’est pas de la « vraie médecine ». C’est une vision réductrice : les soins palliatifs sont une médecine à part entière, pluridisciplinaire, et qui mobilise de nombreux savoirs et techniques au service du patient.
À quoi ressemble votre quotidien aujourd’hui ?
Je fais moins de clinique qu’avant, même si j’en garde une part. Ma mission principale est d’encadrer une équipe pluridisciplinaire : psychologues, assistantes sociales, diététiciennes, socio-esthéticiennes, musicothérapeutes, psychomotriciennes… J’anime également de nombreux projets autour des interventions non médicamenteuses : socio-esthétique, hypnose par réalité virtuelle, musicothérapie, activité physique adaptée. Nous travaillons aussi sur la recherche et sur la mesure d’impact de ces dispositifs.
Je suis par ailleurs très investie dans la relation avec les usagers : je suis médiatrice non médicale et présidente de la Commission des usagers de mon établissement. L’objectif est de renforcer la place des patients et des proches dans nos projets, en construisant avec eux plutôt que pour eux.
Enfin, je suis engagée au niveau régional et national, notamment via la coordination des soins palliatifs d’Île-de-France et la Fédération nationale des HAD.
Un souvenir marquant à partager ?
Je pense à une jeune femme atteinte d’un cancer diagnostiqué juste après la naissance de son fils. Elle avait beaucoup de difficultés à parler de ce qu’elle traversait. Je l’ai accompagnée jusqu’à la fin de sa vie, durant treize mois plus tard. Malgré la tristesse de cette histoire, il y a eu un vrai travail de lien et de soutien. Ces rencontres me marquent durablement.
Je garde aussi en mémoire l’accompagnement d’un couple en deuil après la perte de leur petite fille de trois ans. La mère, très en colère, m’a dit lors de notre deuxième rencontre : « Vous êtes la première personne qui ne me fuit pas. » Je les ai suivis pendant deux ans, jusqu’à la naissance de leur deuxième fille, qu’ils ont appelée Camille, en hommage à notre rencontre et à l’accompagnement vécu ensemble. Ce choix reste pour moi un souvenir émouvant.
Quel message aimeriez-vous transmettre ?
Ce qui me porte depuis toujours, ce sont mes valeurs de soin, d’accompagnement, de main tendue à l’autre dans les moments de crise : la maladie, la fin de vie, le deuil. Mon moteur, c’est d’apporter la meilleure qualité de vie possible aux patients et à leurs proches.
Pour y parvenir, l’interdisciplinarité est indispensable. Il faut du temps de concertation, des échanges en équipe, une vision du soin qui dépasse la logique purement comptable. Les projets, la diversité des interventions, l’expérience patient, la formation continue des professionnels : tout cela contribue à améliorer la prise en charge.
C’est cet engagement, ancré depuis 28 ans, qui me fait avancer et qui, j’en suis sûre, continuera de m’animer.