Discussions anticipées et fin de vie : revue de la littérature internationale

Veille de la littérature internationale, réalisée par Stéphanie Pierre, Sandrine Bretonnière et Sophie Ferron, 14 octobre 2020

Le concept d’Advance care planning – que l’on peut traduire par discussions anticipées ou planification anticipée des soins – est largement débattu dans la littérature internationale, en tant qu’outil complémentaire ou alternatif aux directives anticipées. Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a réalisé une revue de la littérature internationale récente sur cette question, mettant en lumière deux champs spécifiques : l’ACP et les personnes atteintes de démence ; l’ACP et les personnes isolées socialement.

 

Planification des soins/ACP et personnes atteintes de démence, ou personnes en Ehpad

Tous les articles soulignent la pertinence de l’ACP mais les difficultés à enclencher les discussions (comment ? à quelle fréquence ?) et à savoir précisément quels éléments y intégrer (quel degré de précision sur les questions médicales ? quelle place pour les valeurs de la personne ?).

 

  • Wendrich-van Dael, A. et al. (2020) Advance care planning for people living with dementia : An umbrella review of effectiveness and expériences, International Journal of Nursing Studies 107 :103576
    Les auteurs ont réalisé une analyse de revues de littérature existantes sur la thématique de l’Advance care planning (planification des soins) chez les personnes atteintes de démence. L’Advance care planning (ACP) est un processus de discussion entre un patient, les professionnels de santé, ses proches, qui a pour objectif de définir les buts et préférences de ce patient concernant des traitements et prises en charge futures, notamment en fin de vie. L’article montre que la mise en place d’ACP est bien acceptée par les personnes atteintes de démence, leurs proches et les professionnels de santé et que cela se traduit par des résultats plus satisfaisants (en termes de séjours d’hospitalisation, de choix des traitements, etc.). La question de l’initiation de l’ACP reste problématique, indiquent les auteurs : faut-il l’aborder au moment du diagnostic de démence ? A l’occasion d’une complication ? En outre, les différents articles analysés font état du besoin de formation des professionnels de santé dans la communication autour des questions de planification des soins et de la fin de vie, car ce sont eux – acteurs de soins – qui sont plébiscités par les patients et pour initier et nourrir la discussion tout au long de leur parcours de soin. Enfin, certains articles pointent la pertinence d’outils d’aide à la décision et de vidéos comme facilitateurs pour initier l’ACP avec les patients et leurs proches. Pour aller plus loin, les auteurs questionnent la place de l’ACP dans la prise en charge des patients atteints de démence : ne faut-il pas l’intégrer dans les activités de soins, de prise de décision itérative qui jalonnent le parcours des personnes atteintes de démence, intrinsèquement empreints d’incertitude, mais qui doit permettre de refléter les préférences et les priorités concernant les soins quotidiens ?

 

  • Thoresen L, Pedersen R, Lillemoen L et al. (2019) Advance care planning in Norwegian nursing homes – limited awareness of the residents’ preferences and values ? A qualitative study, BMC Geriatrics 19 :363 doi.org/10.1186/s12877-019-1378-6
    Les auteurs ont mené une étude qualitative auprès de 20 professionnels de santé travaillant en Ehpad en Norvège, où 52% des décès ont lieu. L’objectif de l’étude était d’explorer le but et l’expérience de ces professionnels lorsqu’ils mènent des discussions anticipées/Advance care planning (ACP) dans leur établissement. Les résultats montrent que l’objectif premier des professionnels de santé est de construire une alliance et de s’accorder sur les futurs traitements du résident avec la personne de confiance, afin d’éviter les conflits lorsque la fin de vie se profile. En termes d’expérience, les professionnels ayant participé à l’étude indiquent que ces discussions anticipées sont source de stress, difficiles et exigeantes, surtout pour les médecins alors même qu’ils ont une expérience conséquente dans la communication sur la fin de vie. En outre, les professionnels de santé ont noté que les résidents exprimaient rarement des préférences et souhaits clairs. Particulièrement lorsqu’ils sont questionnés sur leur souhait d’aller à l’hôpital en cas de maladie grave, les résidents donnent des réponses évasives, rapportent les professionnels interviewés. Un médecin cité indique qu’une de ses patientes disait vouloir être en sécurité et prise en charge mais ne précisait de quelle manière. Les auteurs notent que ce qu’exprime cette personne ne semble pas pertinent pour les professionnels qui veulent des ‘opinions’ tranchées sur les différentes possibilités de traitements. Concernant les résidents atteints de démence, les professionnels indiquent qu’ils sont peu impliqués dans l’ACP et qu’il est difficile pour les personnes de confiance de se positionner. Comme cela a été démontré dans la littérature internationale, les discussions anticipées sont un exercice difficile, oscillant entre la prise en compte des volontés du résident et la crainte d’être malfaisant. Les auteurs recommandent que les discussions anticipées soient élargies à d’autres membres du personnel des Ehpad ; les limiter aux médecins et infirmières ne permet pas de connaître les priorités et philosophie de vie des résidents. Les auteurs reprennent la suggestion de Gilissen et al. (2018) : le personnel et les bénévoles devraient être formés à reconnaître les ‘déclencheurs de discussions anticipées’ et à s’engager dans des discussions anticipées spontanées. En conclusion, les auteurs écrivent que les professionnels ont tendance à focaliser sur les questions médicales dans l’objectif de s’accorder avec les proches sur les traitements qui seront délivrés en fin de vie. Le risque de cette approche est de négliger une vision plus large des besoins, inquiétudes et espoirs des résidents lorsqu’ils approchent de leur fin de vie. Développer des formations et des recommandations pour la mise en œuvre de l’ACP semble essentiel pour améliorer ce dispositif.

 

  • Van Rickstal, R et al. (2019) Limited engagement in, yet clear preferences for advance care planning in young-onset dementia : An exploratory interview-study with family caregivers, Palliative Medicine 33(9) : 1166-1175.
    Les auteurs ont mené une enquête qualitative par le biais d’entretiens semi-structurés auprès de 15 familles flamandes dont les proches étaient diagnostiqués d’une démence précoce. Cette enquête avait deux objectifs : (1) étudier dans quelle mesure les familles étaient prêtes à s’engager dans l’Advance care planning (ACP) avec le patient et/ou les professionnels de santé ; (2) sonder les familles sur ce que pourraient être les modalités d’engagement dans l’ACP avec les patients, la famille, les professionnels de santé.
    Les résultats montrent que les personnes se préoccupent essentiellement de planifier les aspects non-médicaux ayant trait à leurs proches. Les facteurs limitant l’engagement dans l’ACP sont les suivants : les familles ne le considèrent pas utile, elles privilégient une approche au jour le jour, elles se protègent émotionnellement et soulignent l’incertitude prégnante concernant la compétence du patient atteint de démence précoce. Lorsqu’elles expriment les modalités idéales d’engagement dans l’ACP, les familles disent que ce dernier devrait être initié par un tiers (plus exactement un professionnel de santé), au moment opportun (soit juste après le diagnostic, soit plus tard – les avis divergeaient selon les familles), et respecter la capacité/autonomie résiduelle des patients. Les auteurs notent également que l’information sur l’ACP mais aussi sur la démence précoce reste très parcellaire et que les structures de prise en charge de ces patients sont inadéquates, limitant l’engagement dans l’ACP.

 

  • Mountford, W, Harrison Dening K, Green J (2020) Advance care planning and decision-making in dementia care : a literature review, Nursing Older People, doi :10.7748/nop.2020.e1238
    Les auteurs ont réalisé une revue de la littérature dont l’objet était d’explorer l’impact de l’introduction de l’Advance care planning (ACP) chez les personnes atteintes de démence quant à leur choix de lieu de décès et l’importance des soins et des décisions en fin de vie. Cette revue montre que les connaissances sur l’ACP chez les personnes atteintes de démence restent limitées. La littérature ne permet pas de trancher quant à l’impact de l’ACP sur les traitements inappropriés ou inutiles en fin de vie. Le moment d’introduction de l’ACP semble en revanche faire consensus : il s’agit d’enclencher les discussions anticipées au début de la maladie pour s’assurer de leur fiabilité. En outre, cela permettrait de réduire le fardeau des proches aidants qui sont fortement sollicités pour prendre des décisions pour la personne malade lorsque la démence arrive à un stade avancé. Les résultats de la revue montrent que les proches aidants sont prêts à s’impliquer dans les décisions concernant la personne malade mais que, souvent, ils préfèrent que ce soient les professionnels de santé qui prennent les décisions médicales. Enfin, la question de la formation des professionnels de santé est soulignée par les différentes études ; beaucoup de ces professionnels indiquent être inconfortables lorsqu’il s’agit de discuter d’arrêt ou de limitation de traitements. Les guides qui ont pu être développés pour aborder ces questions ne sont pas adaptés aux personnes atteintes de démence. Les auteurs soulignent que la recherche sur l’impact de l’ACP pour les personnes atteintes de démence est limitée. De nombreuses questions se posent : l’ACP enclenchée au début d’une démence permet-elle à la personne de mourir où elle le souhaite ? L’ACP permet-elle de réduire le fardeau des proches aidants ? L’ACP se concentre-t-il plus sur les besoins physiques et financiers de la personne ou sur ses besoins sociaux, familiaux, psychologiques, éthiques ? L’ACP est-il revu régulièrement ? Si oui, par qui et comment ? Quels changements sont effectués et pourquoi ? Existe-t-il des différences entre différentes communautés (ethniques, religieuses) concernant l’ACP ?
    En conclusion, les auteurs indiquent que cette revue de la littérature montre qu’il est bénéfique de débuter l’ACP avec la personne atteinte de démence et ses proches au début de la maladie. Les professionnels de santé sont bien placés pour introduire et promouvoir le concept ; néanmoins, ce type de discussions a plutôt lieu avec des avocats/notaires ou des comptables qui n’ont pas nécessairement les compétences pour aborder des diagnostics médicaux ou des questions personnelles. La littérature suggère que des conversations anticipées ont lieu entre les professionnels de santé et les personnes atteintes de démence et leurs proches, le plus souvent après un épisode aigu, ce qui ne semble pas être le moment le plus approprié pour démarrer l’ACP. Les proches veulent être impliqués mais ont des connaissances médicales limitées et préfèrent que les professionnels de santé prennent les décisions médicales. Des médecins généralistes sont divisés quant à leur implication et sont inconfortables quand il s’agit de prendre une décision d’arrêt de traitement. Pour les soutenir dans leur fonction de preneur de décision, les proches aidants et les professionnels de santé ont besoin de soutien et d’outils qui restent à développer.

 

Planification des soins/ACP chez les personnes en situation de précarité, isolées socialement ou en situation de minorité ethnique/raciale

Tous les articles insistent sur l’importance de développer une démarche de planification anticipée des soins ou de discussions anticipées auprès des personnes en situation de précarité ou socialement isolées et donnent des pistes pour adapter les outils existants aux besoins spécifiques de ces populations. Deux points sont mis en avant : à la fois le fait que ces populations ont un plus haut taux de morbidité et de mortalité que la population générale, ce qui justifie encore plus l’intérêt de l’ACP auprès d’elles, ainsi que le fait que l’ACP favorise l’empowerment de ces populations souvent socialement délaissées.

 

  • Stone, W, Mixer, S.J, Mendola, A (2019) Culturally acceptable advance care planning and advance directives for persons experiencing homelessness, Journal of Hospice and Palliative Nursing, vol 21(5)
    Dans cet article, les auteurs relatent les résultats d’une étude sur un sujet peu étudié : comment mettre en place une planification anticipée des soins via la rédaction de directives anticipées chez une population sans domicile fixe (SDF) ?
    Les auteurs partent du constat que si le taux de DA rédigées est bas dans la population générale, il l’est encore plus dans certaines catégories de populations défavorisées, comme les SDF. Pourtant, se retrouver sans domicile fixe est un risque qui peut arriver à tout le monde et est généralement corrélé avec une mauvaise santé et des difficultés d’accès aux soins, a fortiori aux soins de fin de vie : ainsi l’espérance de vie des SDF est inférieure de 12 ans à celle de la population générale. Ils sont également confrontés à plus de risques de blessures, de maladies mentales et physiques.
    Les particularités culturelles propres à cette population sont : des comorbidités, un manque de continuité dans les soins, une difficulté à désigner une personne de confiance, une défiance envers le système de santé et un désir de traitements de maintien en vie plus invasifs quand ils sont confrontés à la fin de vie que la population générale. Il est également souligné que l’alphabétisation limitée et la complexité du formulaire de DA compliquent le processus.
    Concernant les souhaits de fin de vie des SDF, certains rejoignent ceux de la population générale, comme la peur de ne pas voir leurs douleurs suffisamment soulagées, mais d’autres sont plus spécifiques à cette catégorie de population : peur de mourir anonymement ou sans que personne ne le sache, peur d’être éloigné de ses proches, peur d’être maltraité par les soignants à cause de la stigmatisation, peur de manquer d’argent pour payer les soins et les dépenses funéraires.
    Le dispositif de personne de confiance est également complexe à mettre en place : il est plus difficile pour un SDF de trouver dans son entourage une personne digne de confiance et disponible, capable de parler à un médecin, de rester calme en situation critique.
    Malgré ces obstacles, les recherches montrent que les SDF ont un fort intérêt pour la planification anticipée des soins qui représente une forme d’empowerment pour eux et augmente leur self-estime : c’est aussi pour eux une forme de reconnaissance de la société qui montre qu’ils ne sont pas « sans valeur » à ses yeux.
    L’étude montre que les infirmiers peuvent être de bons relais pour mettre en place une panification anticipée des soins spécifique aux SDF si on les y forme : développer une expérience professionnelle au contact de ce public spécifique permet un retour réflexif qui améliore la qualité de la planification. Pour les besoins de l’étude, un formulaire spécifique de directives anticipées a également été élaboré, grâce aux retours de personnes SDF elles-mêmes ainsi que d’infirmiers les ayant accompagnés dans la démarche de planification anticipée des soins : un travail de reformulation du formulaire officiel a été effectué (simplification du vocabulaire, utilisation d’échelles pour décrire l’état de santé et de checklist, formulaire plus court que l’original), et le formulaire a été retravaillé pour offrir une progression plus parlante pour ce public. Ainsi le formulaire débute par des questions ouvertes sur la qualité et le sens de la vie avant de passer aux souhaits de traitements de fin de vie à proprement parler, et termine par les souhaits relatifs au post-mortem, qui sont l’une des grandes préoccupations des SDF.
    Conjointement à ce travail d’élaboration d’un nouveau formulaire, un atelier d’aide à la rédaction individualisée des directives anticipées a été proposé. Les SDF ayant bénéficié du dispositif ont exprimé leur satisfaction de pouvoir réfléchir à ces sujets autrement que dans l’urgence et de se voir donner les moyens de le faire, d’autant plus que beaucoup d’entre eux étaient réticents à utiliser le dispositif de personne de confiance : dépendre de quelqu’un d’autre a souvent été décrit comme une perspective effrayante. Enfin, l’atelier a eu un mérite éducatif évident : certains participants pensaient que les directives anticipées concernaient uniquement les biens matériels, et tous ont pu obtenir des informations sur les différents traitements de maintien en vie (comme la respiration artificielle, la réanimation…), informations d’autant plus importantes que cette catégorie de patients a plus tendance à demander des traitements invasifs de maintien en vie que la population générale. Tous les participants ont exprimé que c’était « une bonne chose de faite ».
    Côté soignants, développer ce type d’ateliers où les infirmiers intervenaient comme facilitateurs leur a permis d’apprendre à soigner ce type de population, de moins appréhender leur prise en charge et de développer des recommandations pour une planification anticipée des soins spécifiques aux SDF, comblant ainsi le « knowledge gap » existant sur ce sujet.

 

  • Kaplan, LM, Sudore, RL, Arellano Cuervo, I, Bainto, D, Olsen, P, Kushel, M (2020) Barriers and solutions to advance care planning among homeless-experienced older adults, Journal of Palliative Medicine, Vol XX, Number XX, 2020,
    Les auteurs présentent une étude qualitative explorant les freins et solutions à l’implémentation d’une planification anticipée des soins (ACP) pour les personnes sans domicile fixe (SDF) de 50 ans et plus. L’étude a été faite en Californie : des entretiens ont été réalisés avec des personnes sans domicile fixe de 50 ans et plus ainsi qu’avec des travailleurs sociaux spécialisés dans le monde de la précarité.
    Le constat de départ est que la population SDF est vieillissante (les plus de 50 ans représentent plus de la moitié de la population SDF globale) et qu’elle présente un haut taux de comorbidités et de mortalité puisqu’en moyenne, les SDF meurent 20 à 30 ans plus tôt que la population générale. Le taux d’engagement dans une démarche d’ACP y est pourtant très faible.
    L’étude expose les principaux freins à l’implémentation d’une démarche d’ACP chez les SDF et propose des pistes de solutions.
    L’ACP est considéré comme quelque chose d’important pour les SDF, tout d’abord parce que la plupart d’entre eux ont été confrontés à des décès dans leur entourage. Ils expriment une peur de mourir seuls et oubliés. Pourtant, un certain nombre de freins existent, spécifiques à cette population. Tout d’abord, beaucoup de SDF présentent des troubles mentaux et prennent de la drogue, ce qui complique toute démarche d’ACP. Il y a également un manque de connaissances sur l’ACP, majoré par des problèmes d’alphabétisation ainsi que par la technicité du vocabulaire qui entoure l’ACP. Le manque de liens familiaux et l’isolement social rendent sensible la question de la personne de confiance. Être sans domicile implique également d’autres priorités : trouver un hébergement, aller d’un lieu à l’autre pour se laver, se nourrir… Les consultations chez le médecin sont aussi peu propices à cette discussion : il y a tant d’autres sujets à aborder qu’il n’y a pas le temps pour aborder l’ACP. De plus, peu de SDF ont une vraie relation suivie et de confiance avec un médecin traitant. Enfin, il y a une grande défiance dans le système de santé et un fatalisme certain : comment croire, quand on a fait l’expérience d’être à la rue et qu’on a l’impression que personne ne fait attention à si l’on est mort ou vivant, que nos souhaits vont être entendus et respectés ? Beaucoup de SDF pensent qu’ils n’ont pas de valeur aux yeux de la société et qu’ils ne méritent donc pas d’avoir le choix et de prendre des décisions pour eux-mêmes.
    Enfin, les équipes manquent de formation et d’entraînement pour parler d’ACP, ce qui rend la conversation malaisée. L’étude pointe du doigt le fait que les travailleurs sociaux sont de facto de meilleurs interlocuteurs sur ces sujets que les médecins, car les SDF ont rarement une relation suivie avec un médecin, à la différence des travailleurs sociaux qui les accompagnent au quotidien et les aident déjà pour des nécessités vitales (se loger, s’habiller, se nourrir). L’ACP nécessite un engagement réel de la part du travailleur et l’établissement d’un lien de confiance.

Les chercheurs ont interrogé SDF et travailleurs sociaux sur des pistes pour développer l’ACP.

Comment ?

La première chose à mettre en place est de l’avis de tous une simplification de la définition d’ACP comme moyen d’apporter du sens et de faire des choix effectifs : parler plutôt de choix que de mort, éviter des termes techniques et parler plutôt de souhaits et objectifs. Il faut également concevoir des documents courts et faciles à lire pour maintenir l’attention, avec des étapes clairement définies et des pictogrammes pour améliorer la visibilité. Le contenu doit aussi être adapté aux besoins spécifiques de cette population : disposition pour l’animal de compagnie, la personne veut-elle que l’on contacte quelqu’un après son décès ou non, quelles funérailles souhaite-t-elle et comment veut-elle qu’on se souvienne d’elle ?

Le programme PREPARE for Your Care[1] a été utilisé lors de cette étude : les vidéos ont été globalement bien reçues, mais les participants auraient préféré avoir des contenus plus spécifiques comme par exemple des témoignages de SDF.

Quand ?

La plupart des participants pensent qu’une démarche d’ACP serait plus facile à engager une fois qu’une solution d’hébergement un peu stable a été trouvée, l’ACP nécessite du temps et de la stabilité et donc de ne pas être dans une situation d’urgence ou de crise où la priorité est de survivre au jour le jour.

Où ?

Miser sur les structures non-médicales (les foyers par exemple) et être flexible : certains SDF sont plus confortables avec l’idée d’une réflexion en groupe, d’autres préfèrent recevoir la visite d’un conseiller à leur lieu d’hébergement.

Il est aussi nécessaire de réfléchir à un endroit permettant de stocker les documents écrits, comme les DA par exemple, et de pouvoir ensuite les transmettre.

En conclusion, l’ACP est une démarche importante à développer pour les SDF car elle leur permet un empowerment certain : « je compte pour quelque chose, j’ai de la valeur, je suis un être humain et j’ai des droits ». La discussion autour de l’ACP est souvent porteuse d’espoir et promeut de la dignité.

 

  • Cudjoe, TK, Cynthia M. Boyd, CM, Wolff, JL, Roth, DL (2020) Advance care planning : social isolation matters, Journal of the American Geriatrics Society 68 : 841–846.
    L’isolement social est un facteur de risque de mauvaise santé pour les personnes âgées. En effet, outre l’absence de relations, l’isolement social est associé à des facteurs de risque tels que le fait de fumer, l’hypertension ou encore un mode de vie sédentaire. Des risques de déclin cognitif, de dépression et de limitations fonctionnelles ont également été identifiés. Souvent, ce type de population manque d’un soignant référent.
    L’étude cherche à analyser le lien entre l’isolement social et la menée d’une démarche de planification anticipée des soins (ACP). L’ACP est définie comme : 1) une discussion préalable sur les préférences de soin en cas de maladie grave (décisions de fin de vie), 2) la désignation d’une personne de confiance, 3) la rédaction de directives anticipées. Pour ce faire, les chercheurs ont comparé l’ACP pour les personnes âgées très isolées, isolées et non isolées. L’isolement social est défini par : ne pas vivre avec au moins une autre personne, ne pas avoir eu au moins deux personnes avec qui discuter des sujets importants dans le courant de l’année passée, ne pas avoir participé à des activités collectives et ne pas s’être rendu à des cérémonies religieuses dans le courant du mois passé.
    23% des personnes âgées étaient soit très isolées, soit isolées socialement ; ce type de public est moins enclin à s’engager dans une démarche d’ACP que les personnes âgées non isolées.
    Une recommandation aux soignants serait d’identifier les personnes âgées à risque d’isolement pour créer des ressources spécifiques et accentuer les efforts d’incitation à l’ACP chez ce type de population.

 

  • Hong, M., Kim, K. (2020) Advance care planning among ethnic/racial minority older adults : Prevalence of and factors associated with informal talks, durable power of attorney for health care, and living will, Ethnicity and Health, DOI :10.1080/13557858.2020.1734778
    Dans le cadre d’une cohorte nationale qui sonde régulièrement les bénéficiaires de Medicare âgés de 65 ans et plus aux Etats-Unis (National Health Aging and Trends Survey), un tiers des sondés (n=2205) a été sélectionné de manière aléatoire et des questions sur l’Advance care planning leur ont été posées en 2012. L’étude s’intéressant aux minorités ethniques/raciales, des Africains-américains, des hispaniques et d’autres minorités (asiatiques, hawaïens natifs, etc.) ont été interrogés (n=543). L’étude avait pour objectif de décrire et d’identifier les facteurs permettant un engagement dans l’ACP. Les résultats de l’étude montrent une plus grande prévalence d’engagement dans un ACP informel (conversations sur la fin de vie) par rapport à la rédaction de directives anticipées.  Les adultes âgés mariés ou vivant en couple discutent de la fin de vie avec leur conjoint-e mais désignent plus souvent leurs enfants adultes que leur conjoint-e comme personnes de confiance. Les adultes âgés avec un plus grand degré d’éducation sont plus enclins à s’engager dans l’ACP alors que ceux privilégiant plus de traitement en fin de vie sont moins enclins à s’engager dans l’ACP. Les auteurs soulignent la nécessité d’inclure les familles dans le processus de décisions liées à la fin de vie et l’importance de mettre en place des programmes d’éducation pour faire connaître l’ACP. Ils insistent sur la nécessité de présenter l’ACP comme un processus, en plusieurs étapes : de discussions informelles sur la fin de vie aux choix d’une personne de confiance et à la rédaction de directives anticipées.

Un exemple d’outil pour faciliter la communication patient/soignant sur les sujets de soins palliatifs et de fin de vie dans le champ du cancer :

  • Bouleuc, C, Savignoni, A, Chevrier, M et al. (2020) A question prompt list for advanced cancer patients promoting advance care planning : A French randomized trial. Journal of Pain and Symptom Management, 31/07/2020, doi.org/10.1016/j.jpainsymman.2020.07.026
    Les études montrent que les discussions les plus difficiles en soins palliatifs portent sur les problématiques de fin de vie : pronostic, préférences de traitement, priorités en termes de soins de santé et place de la mort. Une perception erronée du pronostic ou des objectifs de soin est fréquemment observée et la plupart des patients avec une maladie potentiellement mortelle disent ne jamais avoir discuté de fin de vie avec leur médecin. Les soignants, eux, sont confrontés à l’incertitude ce qui rend les discussions de ce type éprouvantes. La quantité d’information à fournir de la part des soignants / souhaitée par les patients est aussi variable : certains patients ou leurs proches peuvent être réticents à parler de fin de vie. Il n’est pas toujours aisé de trouver le bon moment pour ces discussions mais la perception d’une aggravation dans les symptômes, l’annonce d’un échec dans le traitement ou l’orientation en soins palliatifs peuvent ouvrir la voie à de telles discussions.
    Si ces discussions importent tant, c’est que des études montrent qu’un plus haut niveau d’information chez les patients est associé avec une meilleure qualité de vie ainsi qu’avec moins de souffrance psychologique comme la dépression ou l’angoisse.
    Pour améliorer cette difficile communication entre patients et soignants, des listes de questions toutes prêtes (QPL) peuvent être utilisées : il s’agit de listes de suggestions de questions regroupées par thématiques afin d’aider le patient à identifier les différents sujets qu’il peut aborder et à mettre des mots sur leurs interrogations. Dans l’étude en question, la QPL déroulait les thèmes suivants : Concernant le service et l’équipe de soins de support et de soins palliatifs, Mes symptômes physiques, Mes traitements contre le cancer, Mes traitements contre les symptômes, Mon mode de vie et ma qualité de vie, L’évolution de ma maladie et ce à quoi m’attendre, Le soutien dont je peux disposer, Au sujet de la qualité des soins, Pour mon entourage, Questions concernant la fin de vie.
    Cette approche vise à encourager un empowerment et une participation active des patients dans leur prise en charge. Des études récentes ont montré que l’utilisation de QPL augmentait les interactions patients-médecins et les encourageait à s’engager dans une planification anticipée des soins. Les patients qui utiliseraient ce type d’outils seraient moins susceptibles d’avoir des effets secondaires comme une souffrance psychologique en abordant les sujets qui touchent à la fin de vie. L’intérêt de cet outil est aussi qu’il permet de mettre en lumière les besoins des patients en termes d’informations alors que jusqu’ici l’information dispensée l’était souvent en fonction des représentations que les soignants se faisaient des attentes des patients, parfois en totale contradiction avec les attentes réelles. L’outil peut aussi être utilisé par les soignants pour « tendre une perche » et tenter d’aborder un sujet difficile : « peut-être vous souvenez-vous que je vous ai donné un livret de QPL la dernière fois, avez-vous des questions à me poser ? ».
    L’étude a testé l’outil en donnant le livret de QPL à un groupe de patients et en comparant les interactions avec les soignants avec un groupe de patients qui n’avait pas eu l’outil. Les résultats montrent que le groupe en possession du livret de QPL pose beaucoup plus de questions, notamment sur les soins de support, les soins palliatifs et la fin de vie. L’outil a été apprécié des patients et n’a pas eu d’effets néfastes sur leur état psychologique : ces patients ont été plus en contrôle de la situation. Point intéressant étant donné les problèmes liés au manque de temps souvent soulevés par les oncologistes, utiliser une liste de QPL n’augmente pas la durée de la consultation.

[1] https://prepareforyourcare.org/welcome

Stéphanie Pierre, Sandrine Bretonnière et Sophie Ferron